DON GALLO ET MES GARDES SUISSES

En faisant du rangement entre la démission de Benoît et l'élection de François, je suis tombé sur des « Ricordi di Roma », deux mini-baigneurs habillés en gardes suisses que j'avais dénichés aux "puces" il y a quelques années.

Comment avais-je pu désirer des souvenirs aussi kitsch et se trouvant à mille lieues de la Ville Éternelle ?

La raison, très simple, est plus ou moins celle qui conduit Nunzio, protagoniste de Ma maison sur la Côte d'Azur, à acheter un baigneur semblable dans une brocante niçoise :

« […] effectivement, on ne doit pas voir souvent un quadragénaire avancé acheter pour trois malheureux euros un petit poupon en plastique habillé en garde suisse qui, droit sur son socle «Ricordo di Roma», brandit fièrement une hallebarde en laiton. Le brocanteur du cours Saleya se rassure toutefois : ce soldat papalin n’a pas été bradé et n’a de valeur que pour moi qui, enfant, avais dû renoncer à un bibelot identique, souvenir ô combien convoité des vrais militaires aux uniformes bigarrés que j’avais vus, raides et majestueux, monter la garde au Vatican. À l’époque, nos maigres finances familiales ne permettaient en effet que des voyages quasi-franciscains dans les principales villes d’Italie. Notre court séjour dans une modeste pension près de Roma Termini excluant toute dépense superflue, je m’étais donc résigné à ne jamais posséder ce petit soldat dont, à vrai dire, la connotation semi-religieuse m’intéressait beaucoup moins que le côté guerrier […] »

Comme pour Nunzio, ces gardes suisses sont donc un souvenir manqué de mon enfance.

Ceci dit, leur redécouverte a aussitôt posé problème : où les placer sans provoquer les railleries plutôt justifiées de mon entourage ?

J'ai décidé d'installer les deux bonshommes bariolés sur mon bureau, dans un endroit exposé seulement à mon regard. Ce dernier étant en définitive, pour la raison que je viens d'évoquer, assez indulgent.

Il y avait également dans le carton un porte-photo désaffecté. Faute de Pape, j'aurais pu y glisser la photo d'un des "simples" prêtres qu'apprécient les Italiens, par exemple ce Don Luigi Ciotti (voir mon précédent billet) connu en Italie pour son action contre toutes les mafias.

Mais on dit que les bons curés risquent de légitimer la mauvaise Église, et il faut bien avouer que le clergé n'a pas toujours été très catholique...

J'ai donc gardé mon porte-photo vide, et laissé mes gardes suisses monter la garde à un pur idéal du "trascendant sur terre".

Seulement, voilà : Don Andrea Gallo, autre "simple" abbé cher à beaucoup de compatriotes, vient de nous quitter pour rejoindre cet ailleurs qui ne devrait pas manquer de récompenser son action au service des exclus.

C'est en voyant, samedi, tous ces gens rendre un dernier hommage à leur prêtre qui pendant la messe n'hésitait pas à entonner Bella Ciao - chant des résistants italiens - que j'ai donc dérogé à ma décision et inséré dans mon porte-photo le portrait de ce religieux anticonformiste et militant dont on peut se demander s'il avait raison d'estimer la politique chavezienne, mais qui s'était fait traiter de pretaccio (mauvais curé) par un représentant de la majorité berlusconienne ne manquant pas d'arrogance.

Il est vrai qu'au moment où je prenais cette décision, on avait déjà le Pape François dont Don Gallo avait apprécié le choix de s'appeler comme le Saint des pauvres, mais dont l'élection a suscité beaucoup de questions sur le rôle de l'Église pendant l'ignoble dictature argentine ayant emprisonné, torturé et fait disparaître ses opposants...

Si, pour juger un modèle de société, il est moins facile d'y percevoir le bien que le mal, il est certain que ce dernier a été le propre du nazisme combattu par les résistants, et qu'en Argentine, ce même mal a caractérisé cette dictature contre laquelle l'Église se devait d'être inflexible.

Dans l'attente d'une élucidation convaincante à ce sujet, je garde dans mon porte-photo le portrait d'un simple prêtre, tout en maintenant certaines réserves à l'égard de toute Église...