LE MEILLEUR HOMME

Bouleversé par certaines horreurs vécues pendant la première guerre mondiale, Henri Cormery, personnage incarnant le père d'Albert Camus dans Le Premier Homme, se dit qu'« un homme, ça s'empêche », en entendant par là qu'un homme, un vrai, doit savoir maîtriser ses pires pulsions. Une phrase que, de toute évidence, son fils Albert a fait sienne.

Qui sait ce que le grand écrivain, journaliste et philosophe dont je relis ces jours-ci quelques pages, penserait aujourd'hui en parcourant un certain quotidien apparemment plutôt proche des Gilets Jaunes qui, sans commentaire, reproduit un « chant distribué aux automobilistes avec les tracts » disant entre autre : « Oh pauvres de la France / Les impôts au cul / On n'a pas de chance / Macron nous a eu / C'est bien la misère / Le peuple n'en peut plus / Les gilets s'révoltent / Tu seras pendu ».

Loin de nous l'idée que les derniers gouvernements ont été les meilleurs pour le peuple, ou que ce peuple n'a pas maintes raisons de contester certaines politiques si lointaines des valeurs et de la devise de la République Française.

Mais encore faut-il que ce peuple ne soit pas instrumentalisé par des couches sociales se voulant "calife à la place du calife", et que cette contestation ne débouche pas en une violence plus ou moins dirigée ou, pour revenir au chant en question, en une requête - que l'on veut considérer facétieuse - d'une quelconque peine capitale.

Car si les citoyens et les médias ont le droit de contredire, oser ou revendiquer, ils doivent s'empêcher de dire ou propager des bêtises.

Oui, "les" Camus du Premier Homme ont raison : le Meilleur Homme, c'est celui qui ne pend personne neanche per scherzo, même pas pour rire.